Paysage Kergoat
Le commencement de bien vivre c'est de bien écouter.  Plutarque

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Quelle éthique ?

Lors d'un entretien individuel ou d'une rencontre collective, ainsi que dans la totalité de nos relations, une écoute sans jugement, bienveillante, est bienvenue car elle crée un climat propice au partage d'un questionnement profond. Lorsqu'une telle atmosphère se produit, la détente et le bien-être occasionnés peuvent encourager certains participants à livrer des témoignages, à confier leur détresse, à demander implicitement ou explicitement une aide extérieure. L'exposition de problèmes personnels conduit fréquemment à une recherche de solutions pour soi ou pour autrui. Certaines personnes sont à l'aise pour témoigner de leur vécu et d'autre moins, mais a-t-on déjà résolu un problème, mis fin à une souffrance par un témoignage ? Tout au plus en retire-t-on un soulagement temporaire, une atténuation du mal-être qui n'est certes pas négligeable, mais le problème ressurgit, car il n'a pas été vu ni traité à sa racine.

Face à une souffrance, un problème petit ou grand, surgit la question suivante : recherchons-nous un soulagement ponctuel, un remède occasionnel, attendons-nous d'une personne ou d'un groupe qu'il apporte un baume sur nos blessures, ou avons-nous une réelle détermination à comprendre et nous libérer de toute souffrance ?

Un autre aspect consiste à considérer la souffrance comme notre problème personnel, distinct ou opposé à celui du voisin. Il en découle un enfermement qui accentue le conditionnement et la division, ce qui empêche une observation profonde. Un groupe de dialogues nous offre l'opportunité de considérer avec respect l'approche singulière de chaque participant, ce qui peut nous conduire à relativiser notre attitude et à en percevoir les limites. Sans en passer par le récit de ses tracas, chacun peut dès lors éprouver de quelle façon, une question, un thème, sont reliés à sa propre histoire, à sa personnalité, et de quelle manière nous sommes intérieurement concernés. Cette implication personnelle, intime, ne perd rien de son intensité à ne pas être exprimée, il se pourrait même qu'il en aille à l'opposé. Moins je me disperse à exprimer mon problème, plus l'énergie de l'exploration est intense, préalable à la compréhension et à la libération de la souffrance.

La connaissance de soi n'est pas une recherche de mieux être superficiel et de courte durée. Elle consiste à aborder une question, un problème précis, en rapport à un ensemble plus vaste, à traiter telle souffrance particulière dans sa relation à la souffrance comme totalité et non de se perdre dans les aspects particuliers qu'elle peut revêtir. Il ne s'agit pas de faire abstraction de notre condition humaine, tout au contraire, il est nécessaire de la considérer sans faux-fuyant et avec lucidité. Car chacun connaît une vie de peines et de joies, où se mêle la souffrance et le plaisir, la misère et la splendeur, et il s'agit bien de ne pas négliger cette donnée première, sans s'y noyer non plus.

Le paradoxe est le suivant : nous ne pouvons mettre fin à une souffrance personnelle des plus aigüe, sans découvrir le caractère impersonnel de la souffrance. Et nous ne pouvons accéder à celle-là sans avoir observé celle-ci au plus près. La souffrance, pas plus qu'aucun problème humain sérieux, ne se résout comme une équation. Ce n'est pas par le raisonnement ou l'analyse, ni par une généralisation abstraite que nous parviendrons à saisir la souffrance dans son caractère global, mais par l'observation la plus immédiate et la plus intense, de telle souffrance particulière au moment où elle surgit. Seule une profonde perception, dénue de visée et de peur, peut révéler le lien profond qui relie telle souffrance à toute souffrance. Nous quittons une approche fragmentaire pour faire l'expérience libératrice d'une totalité. Ce processus ne peut toutefois pas s'accomplir en l'envisageant sous l'angle de la seule souffrance. Ce sont tous les mouvements de la conscience qui peuvent et doivent être observés et compris afin d'en être libéré : le plaisir, la souffrance et toutes les manifestations de la conscience quelles qu'elles soient. Envisager la fin de toute souffrance implique la totalité de la conscience humaine, il ne s'agit plus d'une réaction égocentrique, mais d'une question qui engage tout notre rapport au monde, notre responsabilité et notre unité essentielle qui est compassion.

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